Sanitaire, proportionnelle, régionales : la démocratie à l’étouffée
Par Françoise Degois. Publié le 21 janvier 2021 dans « Nos lendemains » (partage de publication autorisé).
Bien sûr, il n’est pas question de dire ici que nous vivons en dictature. Mais notre démocratie, nos institutions commencent sérieusement à manquer d’oxygène. Nous ne dirons jamais assez à quel point la gestion verticale et solitaire (à travers un conseil de défense totalement opaque puisque couvert par le secret défense) et l’absence totale de débat avec les parlementaires, pas plus que de discussions et de construction avec les élus locaux, pèsent lourd dans la balance démocratique. On peut bien moquer la Grande Bretagne ou l’Italie, critiquer l’Allemagne et mépriser l’Espagne, tous ces pays rendent compte vraiment à leurs élus, sans ces simagrées de réunion avec les préfets, réunions avant lesquelles tout est déjà décidé par le « triumvirat » Macron/Castex/Véran. Même les meilleures volontés s’épuisent. Mais il faut désormais s’indigner de deux faits politiques et constitutionnels qui mettent de sérieux coups de canif dans l’architecture politique et institutionnelle de notre pays.
Il y a d’abord la mise en place de la proportionnelle, grande promesse du candidat Macron, et qui passe purement et simplement à la trappe. Avec un argument totalement fallacieux, dans la bouche du patron du groupe des députés de la majorité, j’ai nommé Christophe Castaner. « Je n’ai pas envie que 100 députés RN entrent à l’Assemblée ». Cette déclaration est proprement scandaleuse. On ne découpe pas la démocratie en petits morceaux, comme ça nous arrange. Je n’aime pas l’extrême-droite, je n’ai aucune complaisance à son égard et je l’ai toujours combattue mais peut-on raisonnablement accepter qu’une formation politique, qui a fait plus de 10 millions de voix à la présidentielle, se retrouve avec …6 députés sur 577. Même injustice pour Jean-Luc Mélenchon : plus de 7 millions de voix à la présidentielle et 17 députés. Comment peut-on espérer résoudre la crise démocratique avec une représentation si injuste du corps électoral français ? Affirmer haut et fort qu’on ne le fera pas pour empêcher plusieurs formations de rééquilibrer leur représentation nationale est un remède bien pire que le mal et la marque d’une fragilité politique extrême. Une démocratie solide sur ses valeurs et ses pratiques n’a aucune extrême à redouter.
Second coup de boutoir, tout aussi scandaleux : le possible report des élections régionales après la présidentielle. C’est une idée tenace dans l’esprit d’Emmanuel Macron à laquelle s’oppose Jean Louis Debré, qui a reçu pour mission de plancher sur le sujet. Il préconise un report en Juin, date qui semblait faire consensus. Pourtant, les quelques fuites d’élus proches du chef de l’État laissent entendre que l’hypothèse d’un report en 2022 n’est pas enterrée. On a bien compris l’opportunisme et le cynisme à utiliser la pandémie à des fins politiques, qui consiste à s’éviter une deuxième déculottée, plus sévère encore que les municipales, à quelques mois de la présidentielle, d’empêcher les têtes d’affiche de la droite, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, d’émerger en cas de réélection dans leurs régions respectives. On comprend bien aussi l’intérêt de la basse manœuvre sur un plan plus large. Dans un pays asphyxié par la forme de folie que génère la 5ieme République, l’élection présidentielle régit absolument tout. Imaginons qu’Emmanuel Macron soit réélu. Le tempo serait donné pour ces régionales. Et si l’on réfléchit de manière encore plus fourbe, pourquoi pourrait-on voter seulement fin 2022 pour des régionales et voter avant pour une présidentielle ? C’est une véritable question. Et les arguments de la pandémie sont absurdes. Les USA ont fait voter 160 millions d’américains, dont la moitié dans des bureaux de vote, en pleine pandémie. Ça ne l’a pas aggravée, pas plus que n’aggraverait une journée électorale, alors que les magasins, les transports en communs et les écoles sont bondés.
Toutes ces manœuvres, cette verticalité, cette opacité, étouffent notre démocratie. Plus inquiétante est l’absence de réaction des Français et de l’opposition. Elle doit monter au créneau, harceler, au sens politique, la majorité, mettre le pied dans la porte pour empêcher cet enchaînement des événements. On appelle cela pratiquer un véritable rapport de force. Quand elle veut, elle peut comme on l’a déjà vu sur les retraites ou l’article 24. Quant aux fameux relais d’opinions, trop occupés à tresser des louanges parsemées de quelques critiques pour la forme, ils ne mouftent pas non plus. Qu’aurions-nous entendu si François Hollande s’était amusé à tordre ainsi les événements et les institutions pour tenter de les mettre à sa main.
Aujourd’hui, c’est quasiment “silence dans les rangs”, occupés que nous sommes à compter les vaccins et les contaminations journalières. Alors non, la démocratie n’est pas bâillonnée, la dictature n’est pas encore à nos portes mais notre grande valeur commune s’étouffe à petit feu. Réagissons !