La crise du 16 mai 1877 : Un scénario redevenu d’actualité et une leçon utile aux Radicaux

A juste titre, Manuel Bompard a évoqué cette situation, fort similaire à celle qu’a créée le président Macron qui sans vergogne prétend réinventer l’histoire politique, en dissolvant l’Assemblée alors que personne ne lui demandait rien et jongle maintenant avec le résultat des courses. Mais on ne l’a pas écouté : pensez donc, l’un de ces empêcheurs de tourner en rond de LFI … Fi donc!

Mais les réalités sont là : une fois encore, le nouveau McMahon, entre deux voyages pontifiants de représentation commerciale, emmène son monde en bateau, sauf sans doute nos amis serbes. Tel le joueur qui veut toujours se refaire en doublant la mise, il bluffe toujours davantage en amusant la galerie mithridatisée ** pour rassurer ses sponsors.

On a déjà oublié qui est responsable de la crise et le fait que bien que la politique présidentielle fasse l’objet d’une réprobation générale sanctionnée par les urnes, il prétend imposer le choix inverse à la nation, exactement comme Sarkozy en 2005 ou comme son lointain prédécesseur galonné, genre d’Hindenburg français.

C’est que ces nouveaux McMahon, au fond, sont beaucoup moins démocrates que ne le fut Charles de Gaulle qui entretint une relation loyale avec la République et n’avait rien d’un tricheur même s’il était conservateur et savait être calculateur. Le peuple a dit non ? Je m’en vais, dans l’honneur.

Et non « j’essaye de faire dire oui à ces imbéciles qui ont dit non » et pour cela je m’appuie sur une classe politique qui n’y voit que du feu et sur mes talents de communicant, que je ferais d’ailleurs bien mieux de réserver à ma propre fonction.

Mais ce qui est intéressant c’est Gambetta : ce père fondateur du vrai radicalisme, qui n’est nullement une pâle variante européiste et laïciste du « socialisme » bourgeois mais un authentique courant politique héritier trop modeste de grandes figures, a lui réagi à la tromperie et au détournement des règles de fonctionnement de la République et il a mis leur auteur en face de ses responsabilités.

Et in fine, c’est la République qui a gagné, lui donnant raison. Quelle leçon en tirer ?

J’en vois pour ma part une : le radicalisme doit renaître car il peut apporter beaucoup : une pensée authentiquement universaliste, inspirée par l’intérêt général et non celui d’une classe technocratique, de lobbies marchands ou financiers voire d’états étrangers ; le refus d’inféodation à la pensée marxiste ou à la doctrine libérale ; une hostilité non feinte à l’extrême-droite ; une conviction laïque, protégeant les convictions individuelles mais farouchement indépendante des déviations d’origine culturelle et religieuse, fussent-elles traditionnelles.

Bref une pensée et une action indépendantes et libres jusqu’au sacrifice, au service de gens d’action qui de soient pas seulement démocrates mais profondément républicains

Ledru-Rollin, Gambetta, Jules Ferry, Eugène et Camille Pelletan, Léon Bourgeois, Georges Clemenceau. Et plus près de nous Edouard Herriot, Jean Zay, Cécile Brunschvig sans oublier Jean Moulin, Pierre Mendès-France Gaston Monerville voire Michel Crépeau qui sut percevoir et commencer à prendre le tournant écologique. Tous ces noms et bien d’autres souvent oubliés forment un prestigieux lignage.

Et ce lignage , comme la noblesse, oblige et mérite autre chose que le conformisme intellectuel européiste, les croyances binaires genre guerre froide et post-colonialisme, le défaut d’imagination, l’absence totale de perspective culturelle et surtout une vision alimentaire du radicalisme, qui lui a tant nui après-guerre et a fini par le marginaliser et le diviser. Tout simplement parce que ses dirigeants sont devenus des clients de forces politiques opposées, elles-mêmes sans grand avenir faute d’avoir été fidèles à leurs mandants.

Le radicalisme n’a aucune vocation au rôle durable de supplétif récompensé d’un pourboire ou d’un strapontin, encore moins à devenir une marque déposée revendue au plus offrant ou un brave Médor à la recherche d’un bon maître.

Il doit être réinventé, non en le réduisant à telle ou telle croyance ou foi mais en tant que vision globale, ambitieuse, indépendante au sein d’une gauche non pas nécessairement unie mais rassemblée quand elle doit proposer à la France une option pour son choix. Car se diviser, c’est se montrer indigne de la volonté populaire en interdisant la mise en œuvre de l’espoir.

Qu’une présidence issue d’un improbable croisement entre la haute administration et la banque d’affaires cherche à éluder ou contourner ce choix, c’est son affaire mais les Radicaux doivent, eux, en toute indépendance, forger un nouvel outil politique répondant aux défis d’aujourd’hui qui ne sont pas seulement économiques mais bien politiques. C’est possible, nous avons les antécédents et les idées, sans doute aussi les militants. Ne manquent que la prise de conscience et l’ambition. A nous, comme ont dit au rugby avant une deuxième mi-temps, de nous ressaisir pour « performer » et « scorer » (bien jouer et marquer, en français).


* Le caricaturiste Jean Robert a commenté ainsi son travail évoquant la crise du 16 mai 1877 : « Léon Gambetta, représentant de la majorité républicaine à la Chambre des députés, jaillit d’une boîte à surprise tel un diable à ressort devant le président de la République Patrice de Mac Mahon, maréchal dont les opinions monarchistes sont symbolisées par la fleur de lys. Surmonté d’un bonnet phrygien et du chiffre évoquant le manifeste des 363, un nuage darde des éclairs sur le président tandis que le représentant de la majorité républicaine à la Chambre des députés prononce la péroraison de son discours lillois du 15 août 1877 : « Se soumettre ou se démettre ».

** Mithridatiser (fig.) = Habituer à quelque chose de mauvais

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