Adieu Macron! 29 NOV. 2020 PAR PASCAL MAILLARD in BLOG : POLARED – PETIT OBSERVATOIRE DES LIBERTÉS ACADÉMIQUES. RECHERCHE, ENSEIGNEMENT, DÉMOCRATIE Il y a des manifestations qui portent leur sens bien au-delà des faits qui s’y déroulent. Ce 28 novembre à Strasbourg des milliers de personnes, dont une majorité de jeunes, ont crié « Liberté !». Mais, entre colère et gravité, elles ont aussi dit « Adieu » à un président qui est associé à un État policier et à la possibilité même d’une nouvelle forme de fascisme. |
Exceptionnellement ce 150ème billet du blog POLARED prend la forme d’un reportage photographique réflexif, en hommage à toutes celles et tous ceux qui défendent les images, non pour elles-mêmes, mais pour les faits qu’elles documentent et leur pouvoir d’élucidation du réel. A côté de deux vidéos et de quelques photographies personnelles, on pourra voir quatre photos de Martin Lelièvre, journaliste indépendant et étudiant au MJMN (Master Journalisme et Médias Numériques) à Metz et une photographie de Serge d’Ignazio qui a couvert la manifestation parisienne. Qu’ils soient tous deux remerciés pour leur professionnalisme et leur engagement. Je dédie ce billet à Ameer, photographe syrien victime hier de violences policières Place de la Bastille, dans un pays qui fut jadis celui des Droits de l’homme. Puisse-t-il se rétablir le plus vite possible. Honte à ce pouvoir ! Honte à Macron ! Honte à Darmanin! Honte à la police! Adieu Macron/Strasbourg/28-11-20 © Pascal Maillard 1. Violence sous silence A un gouvernement qui veut nous priver des images qui attestent de faits que le pouvoir souhaite soustraire au regard public, des dizaines et peut-être des centaines de milliers de manifestants ont répondu de trois manières. D’abord par un surcroit d’images : jamais la police n’a été autant photographiée et filmée. Ensuite par des mots et des phrases écrits sur des pancartes et des banderoles qui participent de l’histoire des luttes populaires et citoyennes et constituent une véritable œuvre collective. Enfin par un silence puissant à dénoncer le silence et le black-out auquel le pouvoir entend nous soumettre. « Violence sous silence ». Violence sans images. Violence sous silence/Strasbourg/28-11-20 © Pascal Maillard Manifestation Loi Securite Globale 28 11 Strasbourg © Martin Lelievre 2. Une police isolée et délégitimée J’ai été marqué hier par la gravité silencieuse de la majorité des quelques 5000 manifestants qui ont marché pendant trois heures dans les rues de Strasbourg. Si l’on excepte la manifestation de tête, joyeuse et bruyante, musicale et festive, jeune et colorée, le long cortège semblait porter le deuil de la démocratie. Quelque chose comme une sidération qui n’en finit pas. Une stupeur devant un impensable qui dure, qui s’aggrave chaque jour dans notre pays. Une fracture profonde entre la police et les citoyens. Une police qui sépare au lieu de protéger, une police qui fait la guerre au lieu de pacifier, une police qui ressemble de plus en plus à la classe politique qui la soutient. Une police isolée et délégitimée. Manifestation Loi Securite Globale 28 11 Strasbourg © Martin Lelievre 3. Insécurité globale Mais j’ai été encore plus marqué par la fédération de toutes les colères et de toutes les causes démocratiques et sociales autour de la défense de nos libertés publiques : une unité s’est construite entre tous les combats dans lesquels nous pousse la dérive autoritaire d’un pouvoir aux abois. Étaient là, outre les syndicats et les partis de gauche, les infatigables Gilets jaunes Strasbourg République, les militants antiracistes, les associations de défense des droits humains, des sans-papiers, des migrants, des journalistes et photographes en nombre, des universitaires, des enseignants, des soignants, des précaires, des artistes, des étudiants et tant de citoyennes et citoyens qui n’acceptent tout simplement pas l’instauration d’un régime « d’Insécurité globale » et de surveillance générale des populations. Etaient là aussi, j’y reviendrai, les « antifa ». Manifestation Loi Securite Globale 28 11 Strasbourg © Martin Lelievre Insécurité globale/Strasbourg/28-11-20 © Pascal Maillard 4. L’œil panoptique de l’État La loi dite « Sécurité globale » n’est pas seulement dangereuse dans son Article 24. C’est toute la loi qu’il convient de retirer, de faire retirer par un grand combat et une mobilisation forte et exemplaire pour nos libertés, un combat qui ne fait que commencer. Ce qu’il y a dans cette loi, c’est l’œil panoptique d’une caméra invisible et omniprésente qui inspectera, mémorisera et traitera notre vie sociale et professionnelle, toute notre vie privée, au gré de pouvoirs qui en feront un usage « légal », permanent et virtuellement sans limite. Nous étions accompagnés pendant toute la manifestation strasbourgeoise d’un « homme-caméra », un manifestant à la tête de caméra qui signifiait à la police notre droit à la filmer, mais qui lui faisait aussi savoir qu’elle était filmée en permanence. Nous continuerons à la filmer en permanence. En tant que journalistes, en tant que militants, en tant que citoyens, en tant que témoins, en tant que victime de violences policières. Et aussi longtemps qu’il nous plaira. Rien ne nous arrêtera. L’homme-caméra 1/Strasbourg/28-11-20 © Pascal Maillard L’homme-caméra 2/Strasbourg/28-11-20 © Pascal Maillard 5. Racisme et violence structurels Les forces de police sont-elles racistes et violentes par nature, en dehors de l’exercice de la violence dite « légale » ? Non, bien sûr. Mais il y a un racisme au sein des forces de police qui ne se limite pas à quelques fonctionnaires. Oui, des pratiques illégales d’actes violents et des entorses nombreuses et répétées à la déontologie sont avérées et documentées (bientôt un millier de signalements sur la plateforme de David Dufresne). Oui, ces actes et pratiques sont le plus souvent couverts et enterrés par la hiérarchie, par l’IGPN qui doit être remplacée par une instance indépendante, par les préfets et par le ministère de l’Intérieur. Enfin, oui, Castaner et plus encore Darmanin aujourd’hui, n’ont cessé de distiller un sentiment d’impunité à la police. Cette politique de la couverture renforce des syndicats très politisés, proches de l’extrême droite et du RN, invités permanents des plateaux de télévision. Cette politique de la couverture favorise le développement de toutes les formes de racismes dans la police et l’implantation de l’extrême droite en son sein. Une pancarte parisienne comportait cette question : « Combien de brebis galeuses avant d’admettre que le troupeau a un problème ? ». Comme le soulignent des articles de la presse étrangère et de nombreuses analyses ou tribunes, le racisme au sein de la police et les violences policières sont structurels en France. Racisme et violence sont étroitement liées. Toute l’institution policière est à réformer. Manifestation Loi Securite Globale 28 11 Paris © Serge D’ignazio 6. La police abrite et protège l’extrême droite Le contrat social sur lequel repose les rapports entre les citoyens et la police peut être formulé ainsi : « Je renonce à une partie de ma liberté et tu m’offres la sécurité ». Aujourd’hui nous en sommes arrivés à ceci : « Tu me prends ma liberté et tu me mets dans l’insécurité. » Plus avant, l’insécurité dans laquelle tu me mets est une atteinte à ma liberté. Et l’insécurité dans laquelle nous mettent Macron et son gouvernement, outre les insécurités écologiques, économiques et sanitaires, c’est celle de la fabrique de l’extrême droite. Avec Darmanin, qui est l’arme politique de la droite radicale au sein du gouvernement, Macron a un sparadrap qui lui colle aux doigts : l’exercice de son pouvoir est irrémédiablement associé à la promotion des valeurs, de l’idéologie et des politiques de l’extrême droite. Le Pen est le sparadrap dont Macron a plein les doigts. Darmanin en a plein la bouche quand il parle de policiers qui ont « déconné ». Au lieu de surveiller et réprimer les mouvements sociaux, les Gilets jaunes, les syndicalistes, les opposants politiques de la vraie gauche, les journalistes et les libres citoyens, les jeunes des banlieues, Macron et Darmanin seraient bien inspirés de s’occuper de l’extrême droite radicale. Dans le cortège strasbourgeois s’étaient infiltrés de jeunes fachos. Je mets en ligne deux vidéos ci-dessous. Une bagarre a éclaté entre les « antifa » et les infiltrés qui ont été expulsés du cortège avant de trouver refuge auprès des forces de police. Si je souligne ce fait, c’est qu’il porte sa signification au-delà d’une simple bagarre entre de jeunes « fachos » et les « antifa » du cortège de tête. Je rappelle que le 29 mars 2018, au cœur du combat contre Parcoursup, six étudiant.e.s mobilisé.e.s de l’Université de Strasbourg avaient été victimes d’une agression violente de membres du Bastion social. Ainsi que je l’écrivais alors, dans un billet du 5 avril 2018 : « La lutte contre l’extrême droite et le combat contre le néolibéralisme autoritaire de Macron ne sont pas séparables ». Ils le sont encore moins aujourd’hui. Le 12 décembre 2019, une quinzaine de membres de l’Action française attaquent des étudiants et des personnels mobilisés contre la LPR et la réforme des retraites : une étudiante élue au Conseil d’administration est blessée (voir l’article de Rue89 Strasbourg). Je n’ai jamais soutenu quelque forme de violence que ce soit. Je tiens toutefois à lancer une alerte : si nous n’y prenons garde, si nous ne défendons pas nos libertés fondamentales avec la plus grande énergie qui s’impose à nous, il se pourrait qu’un jour, pas si lointain que ça, les jeunes gens joyeux et engagés, courageux et déterminés qui se battent contre les fascistes, soient les seuls à nous protéger. Il faut que nous soyons attentifs à cela. 7. Pour déconfiner nos libertés, il faut d’abord lutter contre la servitude volontaire La plus grande violence est celle que nous exerçons contre nous-mêmes. Elle se nomme la servitude volontaire. Gilles Deleuze et Michel Foucault estimaient il y a 40 ans que les sociétés à venir seraient de plus en plus des « sociétés de contrôle ». Ils avaient raison et on peut relire aujourd’hui avec profit les analyses de Foucault sur le panoptique de Bentham dans Surveiller et punir. Le pouvoir invisibilisé et protégé jouit du privilège de voir sans être vu alors que le prisonnier (ou le citoyen) suspecte et craint d’être surveillé en permanence, sans savoir exactement quand il l’est. Foucault écrit que « l’effet du panoptique est d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir ». Ce régime de la surveillance généralisée dont Foucault a décrit le fonctionnement avant le développement technologique et numérique que nous connaissons, consiste dans la maitrise et le conditionnement des populations par une peur diffuse et permanente. Big Brother règne par le seul fait que l’on se sache surveillé. Cette peur est aujourd’hui le premier moteur d’une immense servitude volontaire qui se développe à tous les niveaux des nos vies sociales, professionnelles et privée. De cette peur il nous faut aujourd’hui nous affranchir. Il faut regarder la caméra dans les yeux, comme nous regardons nos adversaires dans les yeux. La peur a peur quand on la regarde droit dans les yeux. Il est temps d’être nous-mêmes, et non ce que Macron veut faire de nous. Il est temps de dire Adieu à Macron. Pascal Maillard |